31 mai 2007
4
31
/05
/mai
/2007
21:26
Hier, je rebondissais sur l'augmentation incessante de la pollution et des rejets de CO2, difficilement dissociable de l'augmentation du sacro-saint PIB. J'évoquais donc l'idée que la croissance était une voie sans issue, une utopie et avançais la nécessité de la décroissance (le vrai nom qui me définit est donc objecteur de croissance).
Aujourd'hui Le Monde publie un dossier (qui, semble-t-il, se poursuivra en 4 autres parties) sur la décroissance qui se situe pour partie dans la continuité de mes propos. Evidemment, on y parle dans certains articles de "l'autre croissance" en s'y reposant comme sur le messie et en imaginant qu'une nouvelle croissance verte magique allait pouvoir nous permettre de poursuivre notre orgie consummériste de riches occidentaux.
Toutefois d'autres papiers s'avèrent beaucoup moins consensuels et n'écartent pas du revers de la main, comme Le Monde l'a souvent fait jusqu'à présent, l'idée d'une décroissance du PIB. Hervé Kempf signe un texte que je reproduis ci-dessous et qui résume en quelques lignes son excellent ouvrage "Comment les riches détruisent la planète". Il y stigmatise l'oligarchie qui tient les rênes économiques et politiques et qui impulse cette irrésistible ascension des classes sociales inférieures vers le mirage qu'est le train de vie de cette oligarchie. Plus l'écart est grand entre riches et pauvres et moins l'humanité se porte bien. Il propose ainsi la création du revenu maximal acceptable. Kempf fustige la croissance matérielle et évoque la décroissance. Le texte ici est concis, clair et percutant. Il y aborde le constat que la croissance n'est pas une recette contre le chômage, ce pourrait même être l'inverse. Dommage que la fin reste décevante car en opposition avec le corps de l'article. En effet, il y prône la fameuse "autre croissance" mais peut-être a-t-il arrondi les angles, Le Monde étant finalement tributaire de cette croissance à travers la publicité. On notera également que l'auteur fait allusion au mensuel la Décroissance que je ne rate jamais et que je recommande évidemment !!!
Travailler moins, gagner moins... être plus heureux !
Ce dossier aborde d'autres sujets tels économie et écologie, l'avis d'économistes ou le changement d'approche des institutions internationales comme la Banque Mondiale qui reviennent sur le modèle ultralibéral qu'ils prônaient jusque-là pour affirmer le rôle de la puissance publique et remettre en cause le dogme de la croissance miracle pour les pays les plus pauvres.
Enfin, cet autre papier évoque la simplicité volontaire (que je reproduis aussi ci-dessous). Au titre sous forme de pied-de-nez à notre Président "ils travaillent moins, ils gagnent moins, et ils sont heureux", il balaye des exemples de décroissance au quotidien, sans trop de simplification même si l'on sent bien que ces personnes restent encore un peu des excentriques et des farfelus pour l'auteur (du moins c'est peut-être plus vendeur sous cette forme). Les arguments y sont assez intéressants. Pour ma part, j'adhère au fait qu'il n'y pas un cahier des charges de la décroissance. Je me définis comme décroissant dans la mesure où je vis avec l'idée que notre mode de vie n'est pas viable et que j'essaye en conséquence de vivre avec moins mais sans me flageller par rapport à mes contradictions. On me dira que je ne suis pas un vrai décroissant par rapport aux exemples de l'article, en effet je possède (encore) une télé, un ordinateur , un frigo (même si je viens de vendre le mien pour en racheter un plus petit... si j'en rachète un !)... mais réduire mon empreinte écologique ne doit pas constituer un effort mais une mise en conformité avec mes idées. Je ne me force pas, je laisse venir, je laisse les choses se faire et mûrir. Par exemple la télé, je la regarde encore de temps à autre (pour le cyclisme...) mais je ne me fais pas violence pour m'en séparer, cela viendra certainement, naturellement. C'est ce qui vient de se passer avec la voiture que j'ai vendue au bout de quelques mois de réflexion. Cette logique est celle du "moins" plutôt que celle du "différent". En effet je consomme moins, je dépense moins.... pourquoi pas travailler moins ? Je le répète, être écologiste c'est nécessairement décroître sur le plan matériel.
Photo : Carrefour décroissant ? le slogan original était "mieux consommer c'est urgent". - l'escargot, symbole du parti pour la décroissance.
La croissance en question
Croissance,croissance, croissance ! Economistes, politiques, entrepreneurs, journalistes, tous n'ont que ce mot à l'esprit quand il s'agit de parler des solutions à apporter aux maux de la société. Souvent, ils oublient même que leur mot fétiche n'est qu'un moyen, et le posent en objectif absolu, qui vaudrait par lui-même.
Cette obsession, qui rassemble la droite et la gauche, est aveugle à l'ampleur de la crise écologique : changement climatique, mais aussi crise historique de la biodiversité et contamination chimique de l'environnement et des êtres. C'est que l'instrument qui sert de boussole aux responsables, le PIB (produit intérieur brut), est dangereusement défectueux : il n'inclut pas la dégradation de la biosphère. Cela signifie que nous contractons à l'égard de celle-ci une dette toujours croissante. La dérégulation émergente des grands écosystèmes planétaires est le prix de cette dette. Si rien ne change, les annuités ne vont plus cesser de s'en alourdir.
L'obsession de la croissance est aussi idéologique, car elle fait abstraction de tout contexte social. En fait, la croissance ne fait pas en soi reculer le chômage : "Entre 1978 et 2005, le PIB en France a connu une croissance de plus de 80 %, remarque Nicolas Ridoux dans le journal La Décroissance d'avril. Dans le même temps, non seulement le chômage n'a pas diminué, mais il a doublé, passant de 5 à 10 %." Le Bureau international du travail et la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement confirment : malgré une hausse du PIB mondial de 5 % par an, le chômage ne diminue pas. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale observent aussi que l'élévation du PIB ne fait pas reculer la pauvreté ni l'inégalité. En réalité, l'invocation permanente de la croissance est un moyen de ne pas remettre en cause l'inégalité extrême des revenus et des patrimoines, en faisant croire à chacun que son niveau de vie va s'améliorer.
Il y a urgence à réinterroger le sens et le contenu de cette obsession moderne. Une piste nouvelle est de viser la réduction des consommations matérielles, c'est-àdire des prélèvements que nous faisons sur les ressources naturelles. Un rapport du Parlement européen, présenté en mars par la députée Kartika Tamara Liotar, le propose : "Il convient de réduire par quatre, à l'horizon 2030, la consommation de ressources primaires non renouvelables dans l'Union européenne."
Rares sont les politiques qui prennent conscience de l'urgence. Le 16 janvier, dans une conférence de presse à Paris, Alain Juppé déclarait : "C'est une autre croissance qu'il faut inventer, qui s'accompagne d'une décroissance des gaspillages, et nous avons besoin, dans un monde frappé par la pauvreté et les inégalités, d'une croissance moins consommatrice des énergies et des ressources non renouvelables, une croissance respectueuse des équilibres naturels, une croissance qui s'accompagne d'autres modalités de consommation et de production." Très beaux mots. Qu'il faut faire vivre, Monsieur le Minitre.
Hervé Kempf
"Décroissants" : ils travaillent moins, ils gagnent moins, et ils sont heureux
Le petit logement d'Arzhel et Anna n'est pas très différent de la moyenne. Le téléphone y sonne souvent. Une chaîne audio trône dans le salon. Mais il n'y a ni télévision, ni réfrigérateur. Le jeune couple franco-brésilien ne consomme que des céréales et des légumes frais biologiques. Emmailloté dans des couvertures colorées, un bébé d'un mois sommeille. Anna a donné naissance à Nawe dans l'appartement, aidée d'une sage-femme.
Avec pour seul revenu le salaire de cuistot d'Arzhel, le couple vit très simplement à Peumerit-Quintin (Côtes-d'Armor). Par choix. "Pour moi, c'est la seule solution pour la planète, affirme Anna. Si nous continuons à abuser de ses ressources, les générations futures n'auront plus rien." "Nous réduisons certaines choses comme la consommation de biens et d'énergie, mais nous y gagnons du temps pour nous, et la possibilité d'organiser notre vie comme nous le voulons", poursuit Arzhel. Il a participé à des marches pour la décroissance, et estime faire partie de ce mouvement, sans pour autant revendiquer l'étiquette de "décroissant", jugée réductrice - ni aucune autre d'ailleurs.
Le terme consacré est celui d'"objecteur de croissance". Certains parlent de "simplicité volontaire", ou de "sobriété". Leur engagement mêle souvent choix de vie personnel, convictions écologistes et militantisme politique. Quand le reste de la société ne songe qu'à augmenter son pouvoir d'achat, ils préfèrent travailler moins, gagner moins, et dépenser moins.
La majorité des gens a un régime alimentaire moyen de plus en plus industriel et calorique, passe des heures devant la télévision, "s'évade" quelques jours au Maroc ou aux Maldives, utilise des objets toujours plus vite remplacés. Les objecteurs mangent bio, végétarien, et local, ignorent la télévision et préfèrent lire, se déplacent à pied, à vélo, ou en train et ne prennent l'avion qu'en dernier recours, réparent les objets, les réutilisent, les échangent, et partagent ce qui peut l'être : machines à laver, ordinateurs, voire logements.
Cela ne signifie pas renoncer à tout. "Je ne suis pas un homme des cavernes, sourit Armand, 30 ans, installé dans une petite maison de pierre bretonne. J'ai l'électricité - tout en surveillant ma consommation. J'adore le téléphone. Et la voiture, quand on vit dans le centre de la Bretagne, ce n'est pas négociable." "La simplicité volontaire, c'est un concept en chantier, on ne signe pas de charte", relève-t-il. En revanche, malgré un revenu de quelques centaines d'euros par mois, Armand ne mange que bio. "La décroissance est un objectif vers lequel on tend, chacun a ses limites", affirme également Christophe, rédacteur sur infogm.org, un site internet consacré aux OGM.
Si le mensuel La Décroissance est parcouru chaque mois avec reconnaissance par des lecteurs très méfiants vis-à-vis des médias grand public, il n'est donc pas pris au pied de la lettre. "Si tu les écoutes, de toute façon, tout le monde a tort", dit Armand.
Pour certains, le changement se fait par petites touches. Cela commence par l'alimentation ou les déplacements. "Quand on est cycliste, on prend conscience de ce qu'est l'énergie parce qu'on doit la produire soi-même, dit Pierre, un Parisien membre de l'association Vélorution. On réalise l'extraordinaire gâchis autour de nous."
Béatrice, elle, a tout lâché d'un coup. "J'avais un commerce à Brest, ça marchait bien, il ne restait qu'à le faire grossir, raconte la jeune femme, aujourd'hui installée à Carhaix. On veut gagner plus, avoir plus, mais à un moment on n'est pas satisfait de la vie qu'on a. On risque de tomber dans l'engrenage boulot, stress, médicaments, passivité." Béatrice travaille aujourd'hui au développement du commerce équitable local. Elle est hébergée chez un ami et ne possède rien. "Je sais que ça paraît difficile de vivre cette vie, mais très vite on se rend compte que c'est très facile, et même très agréable", dit-elle.
"Pratiquer la décroissance apporte une richesse incroyable, car quand tu consommes moins, tu travailles beaucoup plus ton imaginaire", confirme Helena, une Suédoise de 37 ans qui a élevé trois enfants en Bretagne, tout en vivant dans des conditions sommaires. La petite roulotte familiale est aujourd'hui délaissée en faveur d'un gîte. Et Helena s'avoue un peu lasse de cuisiner toute la journée pour sa famille. "La décroissance, ça prend du temps, il faut le savoir", sourit-elle. Elle aimerait "s'ouvrir davantage vers l'extérieur". Si l'objectif ultime des objecteurs de croissance est l'autonomie complète sur le plan matériel, la plupart n'apprécient pas la solitude. "Moins de biens, plus de liens" est un de leurs slogans.
Ils constatent pourtant qu'une certaine agressivité les entoure. "80 % des gens condamnent mon mode de vie, 10 % sont intéressés, 10 % envient ma liberté", résume Armand. Céline, architecte à Carhaix, a vécu des conversations houleuses dans sa famille. "Des choix de vie extrêmes, ça peut faire peur, on sent la crispation en face de nous, explique la jeune femme. La décroissance, c'est un choix intellectuel, poursuit-elle. On doit avoir la culture et les capacités intellectuelles pour le faire. Sinon, on est simplement pauvre."
Ils se sont habitués à répondre toujours aux mêmes questions, à dissiper les mêmes malentendus. "On peut parler de décroissance pour nous, dans les pays riches, parce que nous bénéficions de structures collectives, de santé, d'éducation, de transports en commun, argumente Christophe. On ne peut évidemment pas le faire pour les pays du Sud. Mais on peut les inciter à tirer parti de nos erreurs."
Au final, tous savent que leurs efforts pèsent autant qu'une goutte d'eau dans l'océan, mais peu leur importe. Ils ont fait leur choix et ne désespèrent pas de convaincre, simplement par leur exemple, ou grâce au militantisme. "Nous devons entrer dans une démarche politique, nous battre pour obtenir des choses, donner la possibilité à tous d'aller vers un mode décroissant", affirme ainsi Christophe.
Gaëlle Dupont
Aujourd'hui Le Monde publie un dossier (qui, semble-t-il, se poursuivra en 4 autres parties) sur la décroissance qui se situe pour partie dans la continuité de mes propos. Evidemment, on y parle dans certains articles de "l'autre croissance" en s'y reposant comme sur le messie et en imaginant qu'une nouvelle croissance verte magique allait pouvoir nous permettre de poursuivre notre orgie consummériste de riches occidentaux.
Toutefois d'autres papiers s'avèrent beaucoup moins consensuels et n'écartent pas du revers de la main, comme Le Monde l'a souvent fait jusqu'à présent, l'idée d'une décroissance du PIB. Hervé Kempf signe un texte que je reproduis ci-dessous et qui résume en quelques lignes son excellent ouvrage "Comment les riches détruisent la planète". Il y stigmatise l'oligarchie qui tient les rênes économiques et politiques et qui impulse cette irrésistible ascension des classes sociales inférieures vers le mirage qu'est le train de vie de cette oligarchie. Plus l'écart est grand entre riches et pauvres et moins l'humanité se porte bien. Il propose ainsi la création du revenu maximal acceptable. Kempf fustige la croissance matérielle et évoque la décroissance. Le texte ici est concis, clair et percutant. Il y aborde le constat que la croissance n'est pas une recette contre le chômage, ce pourrait même être l'inverse. Dommage que la fin reste décevante car en opposition avec le corps de l'article. En effet, il y prône la fameuse "autre croissance" mais peut-être a-t-il arrondi les angles, Le Monde étant finalement tributaire de cette croissance à travers la publicité. On notera également que l'auteur fait allusion au mensuel la Décroissance que je ne rate jamais et que je recommande évidemment !!!
Travailler moins, gagner moins... être plus heureux !
Ce dossier aborde d'autres sujets tels économie et écologie, l'avis d'économistes ou le changement d'approche des institutions internationales comme la Banque Mondiale qui reviennent sur le modèle ultralibéral qu'ils prônaient jusque-là pour affirmer le rôle de la puissance publique et remettre en cause le dogme de la croissance miracle pour les pays les plus pauvres.
Enfin, cet autre papier évoque la simplicité volontaire (que je reproduis aussi ci-dessous). Au titre sous forme de pied-de-nez à notre Président "ils travaillent moins, ils gagnent moins, et ils sont heureux", il balaye des exemples de décroissance au quotidien, sans trop de simplification même si l'on sent bien que ces personnes restent encore un peu des excentriques et des farfelus pour l'auteur (du moins c'est peut-être plus vendeur sous cette forme). Les arguments y sont assez intéressants. Pour ma part, j'adhère au fait qu'il n'y pas un cahier des charges de la décroissance. Je me définis comme décroissant dans la mesure où je vis avec l'idée que notre mode de vie n'est pas viable et que j'essaye en conséquence de vivre avec moins mais sans me flageller par rapport à mes contradictions. On me dira que je ne suis pas un vrai décroissant par rapport aux exemples de l'article, en effet je possède (encore) une télé, un ordinateur , un frigo (même si je viens de vendre le mien pour en racheter un plus petit... si j'en rachète un !)... mais réduire mon empreinte écologique ne doit pas constituer un effort mais une mise en conformité avec mes idées. Je ne me force pas, je laisse venir, je laisse les choses se faire et mûrir. Par exemple la télé, je la regarde encore de temps à autre (pour le cyclisme...) mais je ne me fais pas violence pour m'en séparer, cela viendra certainement, naturellement. C'est ce qui vient de se passer avec la voiture que j'ai vendue au bout de quelques mois de réflexion. Cette logique est celle du "moins" plutôt que celle du "différent". En effet je consomme moins, je dépense moins.... pourquoi pas travailler moins ? Je le répète, être écologiste c'est nécessairement décroître sur le plan matériel.
Photo : Carrefour décroissant ? le slogan original était "mieux consommer c'est urgent". - l'escargot, symbole du parti pour la décroissance.
La croissance en question
Croissance,croissance, croissance ! Economistes, politiques, entrepreneurs, journalistes, tous n'ont que ce mot à l'esprit quand il s'agit de parler des solutions à apporter aux maux de la société. Souvent, ils oublient même que leur mot fétiche n'est qu'un moyen, et le posent en objectif absolu, qui vaudrait par lui-même.
Cette obsession, qui rassemble la droite et la gauche, est aveugle à l'ampleur de la crise écologique : changement climatique, mais aussi crise historique de la biodiversité et contamination chimique de l'environnement et des êtres. C'est que l'instrument qui sert de boussole aux responsables, le PIB (produit intérieur brut), est dangereusement défectueux : il n'inclut pas la dégradation de la biosphère. Cela signifie que nous contractons à l'égard de celle-ci une dette toujours croissante. La dérégulation émergente des grands écosystèmes planétaires est le prix de cette dette. Si rien ne change, les annuités ne vont plus cesser de s'en alourdir.
L'obsession de la croissance est aussi idéologique, car elle fait abstraction de tout contexte social. En fait, la croissance ne fait pas en soi reculer le chômage : "Entre 1978 et 2005, le PIB en France a connu une croissance de plus de 80 %, remarque Nicolas Ridoux dans le journal La Décroissance d'avril. Dans le même temps, non seulement le chômage n'a pas diminué, mais il a doublé, passant de 5 à 10 %." Le Bureau international du travail et la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement confirment : malgré une hausse du PIB mondial de 5 % par an, le chômage ne diminue pas. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale observent aussi que l'élévation du PIB ne fait pas reculer la pauvreté ni l'inégalité. En réalité, l'invocation permanente de la croissance est un moyen de ne pas remettre en cause l'inégalité extrême des revenus et des patrimoines, en faisant croire à chacun que son niveau de vie va s'améliorer.
Il y a urgence à réinterroger le sens et le contenu de cette obsession moderne. Une piste nouvelle est de viser la réduction des consommations matérielles, c'est-àdire des prélèvements que nous faisons sur les ressources naturelles. Un rapport du Parlement européen, présenté en mars par la députée Kartika Tamara Liotar, le propose : "Il convient de réduire par quatre, à l'horizon 2030, la consommation de ressources primaires non renouvelables dans l'Union européenne."
Rares sont les politiques qui prennent conscience de l'urgence. Le 16 janvier, dans une conférence de presse à Paris, Alain Juppé déclarait : "C'est une autre croissance qu'il faut inventer, qui s'accompagne d'une décroissance des gaspillages, et nous avons besoin, dans un monde frappé par la pauvreté et les inégalités, d'une croissance moins consommatrice des énergies et des ressources non renouvelables, une croissance respectueuse des équilibres naturels, une croissance qui s'accompagne d'autres modalités de consommation et de production." Très beaux mots. Qu'il faut faire vivre, Monsieur le Minitre.
Hervé Kempf
"Décroissants" : ils travaillent moins, ils gagnent moins, et ils sont heureux
Le petit logement d'Arzhel et Anna n'est pas très différent de la moyenne. Le téléphone y sonne souvent. Une chaîne audio trône dans le salon. Mais il n'y a ni télévision, ni réfrigérateur. Le jeune couple franco-brésilien ne consomme que des céréales et des légumes frais biologiques. Emmailloté dans des couvertures colorées, un bébé d'un mois sommeille. Anna a donné naissance à Nawe dans l'appartement, aidée d'une sage-femme.
Avec pour seul revenu le salaire de cuistot d'Arzhel, le couple vit très simplement à Peumerit-Quintin (Côtes-d'Armor). Par choix. "Pour moi, c'est la seule solution pour la planète, affirme Anna. Si nous continuons à abuser de ses ressources, les générations futures n'auront plus rien." "Nous réduisons certaines choses comme la consommation de biens et d'énergie, mais nous y gagnons du temps pour nous, et la possibilité d'organiser notre vie comme nous le voulons", poursuit Arzhel. Il a participé à des marches pour la décroissance, et estime faire partie de ce mouvement, sans pour autant revendiquer l'étiquette de "décroissant", jugée réductrice - ni aucune autre d'ailleurs.
Le terme consacré est celui d'"objecteur de croissance". Certains parlent de "simplicité volontaire", ou de "sobriété". Leur engagement mêle souvent choix de vie personnel, convictions écologistes et militantisme politique. Quand le reste de la société ne songe qu'à augmenter son pouvoir d'achat, ils préfèrent travailler moins, gagner moins, et dépenser moins.
La majorité des gens a un régime alimentaire moyen de plus en plus industriel et calorique, passe des heures devant la télévision, "s'évade" quelques jours au Maroc ou aux Maldives, utilise des objets toujours plus vite remplacés. Les objecteurs mangent bio, végétarien, et local, ignorent la télévision et préfèrent lire, se déplacent à pied, à vélo, ou en train et ne prennent l'avion qu'en dernier recours, réparent les objets, les réutilisent, les échangent, et partagent ce qui peut l'être : machines à laver, ordinateurs, voire logements.
Cela ne signifie pas renoncer à tout. "Je ne suis pas un homme des cavernes, sourit Armand, 30 ans, installé dans une petite maison de pierre bretonne. J'ai l'électricité - tout en surveillant ma consommation. J'adore le téléphone. Et la voiture, quand on vit dans le centre de la Bretagne, ce n'est pas négociable." "La simplicité volontaire, c'est un concept en chantier, on ne signe pas de charte", relève-t-il. En revanche, malgré un revenu de quelques centaines d'euros par mois, Armand ne mange que bio. "La décroissance est un objectif vers lequel on tend, chacun a ses limites", affirme également Christophe, rédacteur sur infogm.org, un site internet consacré aux OGM.
Si le mensuel La Décroissance est parcouru chaque mois avec reconnaissance par des lecteurs très méfiants vis-à-vis des médias grand public, il n'est donc pas pris au pied de la lettre. "Si tu les écoutes, de toute façon, tout le monde a tort", dit Armand.
Pour certains, le changement se fait par petites touches. Cela commence par l'alimentation ou les déplacements. "Quand on est cycliste, on prend conscience de ce qu'est l'énergie parce qu'on doit la produire soi-même, dit Pierre, un Parisien membre de l'association Vélorution. On réalise l'extraordinaire gâchis autour de nous."
Béatrice, elle, a tout lâché d'un coup. "J'avais un commerce à Brest, ça marchait bien, il ne restait qu'à le faire grossir, raconte la jeune femme, aujourd'hui installée à Carhaix. On veut gagner plus, avoir plus, mais à un moment on n'est pas satisfait de la vie qu'on a. On risque de tomber dans l'engrenage boulot, stress, médicaments, passivité." Béatrice travaille aujourd'hui au développement du commerce équitable local. Elle est hébergée chez un ami et ne possède rien. "Je sais que ça paraît difficile de vivre cette vie, mais très vite on se rend compte que c'est très facile, et même très agréable", dit-elle.
"Pratiquer la décroissance apporte une richesse incroyable, car quand tu consommes moins, tu travailles beaucoup plus ton imaginaire", confirme Helena, une Suédoise de 37 ans qui a élevé trois enfants en Bretagne, tout en vivant dans des conditions sommaires. La petite roulotte familiale est aujourd'hui délaissée en faveur d'un gîte. Et Helena s'avoue un peu lasse de cuisiner toute la journée pour sa famille. "La décroissance, ça prend du temps, il faut le savoir", sourit-elle. Elle aimerait "s'ouvrir davantage vers l'extérieur". Si l'objectif ultime des objecteurs de croissance est l'autonomie complète sur le plan matériel, la plupart n'apprécient pas la solitude. "Moins de biens, plus de liens" est un de leurs slogans.
Ils constatent pourtant qu'une certaine agressivité les entoure. "80 % des gens condamnent mon mode de vie, 10 % sont intéressés, 10 % envient ma liberté", résume Armand. Céline, architecte à Carhaix, a vécu des conversations houleuses dans sa famille. "Des choix de vie extrêmes, ça peut faire peur, on sent la crispation en face de nous, explique la jeune femme. La décroissance, c'est un choix intellectuel, poursuit-elle. On doit avoir la culture et les capacités intellectuelles pour le faire. Sinon, on est simplement pauvre."
Ils se sont habitués à répondre toujours aux mêmes questions, à dissiper les mêmes malentendus. "On peut parler de décroissance pour nous, dans les pays riches, parce que nous bénéficions de structures collectives, de santé, d'éducation, de transports en commun, argumente Christophe. On ne peut évidemment pas le faire pour les pays du Sud. Mais on peut les inciter à tirer parti de nos erreurs."
Au final, tous savent que leurs efforts pèsent autant qu'une goutte d'eau dans l'océan, mais peu leur importe. Ils ont fait leur choix et ne désespèrent pas de convaincre, simplement par leur exemple, ou grâce au militantisme. "Nous devons entrer dans une démarche politique, nous battre pour obtenir des choses, donner la possibilité à tous d'aller vers un mode décroissant", affirme ainsi Christophe.
Gaëlle Dupont